Le droit social n'est pas hermétique au développement des réseaux sociaux. Un arrêt récent de la Cour de Cassation en est une illustration supplémentaire puisqu'elle vient d'avoir l’occasion de se prononcer sur la possibilité pour un employeur de produire des photographies et vidéos issues d’un groupe de conversation privé, créé sur le réseau social Messenger pour justifier des licenciements pour faute grave.
L'affaire commence par le licenciement de deux infirmières des urgences pour faute grave. Leur employeur leur reproche d'avoir introduit et consommé de l’alcool au sein de l’hôpital dans le cadre de soirées festives organisées parfois pendant la durée de leur service, faisant valoir que des mauvais traitements auraient été infligés aux patients à l’occasion de ces évènements.
Les infirmières auraient également participé à une séance photo, en maillot de bain, dans une salle de suture de l’hôpital, les clichés de cette soirée étant partagés sur le groupe Messenger auquel les salariées appartenaient.
Devant le Conseil de Prud'hommes, l'employeur, sur qui repose la charge de la preuve des griefs de licenciement produit plusieurs éléments pour résister aux demandes de ses ex-salariées : le témoignage écrit d’une aide-soignante, une alerte donnée par une autre collègue, des extraits de conversations tirés du groupe Messenger et des photographies et vidéos extraites du groupe Messenger précité.
Les salariées soulèvent, devant les premiers juges puis devant la Cour d'Appel, l’irrecevabilité de ces différents éléments probatoires, mais ne sont pas suivies par les Conseillers de VERSAILLES qui considèrent que les pièces communiquées par l'employeur sont recevables, et notamment que les photographies étaient légitimement produites aux débats dans la mesure où elles avaient été prises sur le lieu de travail, à destination d’une ancienne collègue, et relevaient donc de la sphère "professionnelle".
La Cour de Cassation, par décision du 4 octobre 2023, statue esssentiellement sur la liceiété des preuves produites par l'employeur, et sur la possiblité de verser aux débats des conversations et photographies issues du groupe Messenger.
Les infirmières font valoir que ces éléments n'étaient pas indispensables à l'exercice du droit à la preuve par leur ex-employeur et que leur production n'était pas proportionnée au but poursuivi.
Elles ne sont toutefois pas suivies par la Cour de cassation qui considère que les énonciations et constatations de la cour d’appel ont démontré que la production de ces clichés était effectivement indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, identifié comme étant, en l'espèce, celui de la défense de l’intérêt, légitime, de l’employeur à la protection des patients confiés au personnel de son établissement.
Il est rappelé que, pour être licite, et donc recevable en justice, un élément de preuve tiré de la vie privée du salarié doit avoit été loyalement obtenu et sa production ne doit pas porter une atteinte disproportionnée à la vie personnelle du salarié.
C'est ce qui permet de déclarer irrecevables des éléments obtenus au moyen d'un stratagème ou d'un dispositif de surveillance illlicite par exemple.
Il est également constant qu'une preuve a priori illicite n'est pas nécessairement irrecevable.
Il appartient en effet au juge de déterminer si son utilisation a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble et d'arbitrer entre le nécessaire respect de la vie privée et personnelle du salarié et le droit à la preuve.
Cet arbitrage a tourné, ici, en faveur de l'employeur. Il est toutefois permis de s'interroger si tel aurait été le cas dans un autre contexte ou domaine d'activité ne mettant pas en jeu la santé de patients. L'atteinte à la vie privée aurait-elle alors été considérée comme proportionnée au but recherché ?
Nos avocats sont particulièrement sensibilisés à ces questions mêlant vie privée et vie professionnelle, et se tiennent à votre disposition.
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